REFORME DES SUCCESSIONS

Colloque droit de la famille organisé en 2006 par l'Association de Juristes en Polynésie française - VISIO-CONFERENCE

MERCREDI 25 OCTOBRE 2006 - Visio-conférence

Présentation de l’actualité juridique – Visio-conférence avec Paris (Assemblée Nationale)
Intervenants :
- M. pierre CATALA, professeur émérite d'université et commandeur de la légion d’honneur,
- Valérie PECRESSE, députée, rapporteur de la mission famille,
- Jean-François de Montgolfier - Chef du bureau du droit des personnes et de la famille -Direction des affaires civiles et du Sceau - Ministère de la justice

INTERVENTION DE PIERRE CATALA

INTERVENTION de M. Pierre CATALA, professeur émérite d'université

Présentation de la réforme des successions à laquelle il a grandement collaboré.

M. CATALA : Madame la Député, Madame la Ministre, je suis tout à fait honoré de me trouver aux côtés de Madame PECRESSE et de Monsieur de MONTGOLFIER ce soir, pour vous parler des successions et des libéralités. Je voudrais en profiter pour d’abord vous dire que j’ai eu le plaisir de venir enseigner à trois reprises à l’Université de Punaauia, que je garde un excellent souvenir de mes différents passages parmi vous et je voudrais aussi saluer s’il est des vôtres, Monsieur le premier président Olivier Aimot et bien sûr un affectueux salut à Sylvie FERRE ANDRE qui est une charmante et excellente collègue.

La famille a pour elle un droit patrimonial parallèle et complémentaire du droit familial que Mme PECRESSE vient d’évoquer. Ce droit patrimonial de la famille, c’est celui du couple, il s’agit alors des régimes matrimoniaux et c’est aussi celui de la transmission à d’autres générations et c’est le droit des successions et des libéralités.

Les régimes matrimoniaux ont été réformés à deux reprises en 1965 et en 1985 ; il me semble que c’est une matière qui est stabilisée et qui devrait être à l’abri des turbulences, en tous cas dans un proche avenir.

Pour les successions, les choses ont été plus difficiles. Il y a eu des réformes partielles qui se sont échelonnées : pour les liquidations successorales (les notaires connaissent bien cela) en 1971, l’indivision en 1976, la dévolution en 2001. Il ne restait donc pas beaucoup de choses à faire en matière de succession. En revanche, le titre des libéralités, n’avait été que très peu retouché depuis 1804 et il demandait un sérieux travail de rajeunissement.
Les successions vont normalement à la proche parenté. L’évolution la plus saillante du dernier demi siècle c’est que la pyramide des héritiers a changé sous l’impulsion de deux facteurs :
- le premier est qu’on a accru beaucoup les droits du conjoint survivant, au motif que c’est lui qui a partagé la vie du défunt et que, si comme le disait Mme PECRESSE, l’affection a survécu à la vie conjugale jusqu’au décès de l’un d’eux, cela mérite un gâteau successoral plus large que celui qui était prévu au 19ème siècle.

-le second qui a bousculé la pyramide héréditaire, c’est qu’il y a eu une tendance à l’égalité absolue des enfants, quelle que soit leur filiation, c’est-à-dire qu’ils soient nés hors mariage ou dans le mariage. On disait tout à l’heure que la moitié des premiers enfants naissait hors mariage. Il est tout à fait naturel, si on peut dire, qu’ils aient les mêmes droits que les enfants nés dans le mariage. Ceci a été un peu plus long à obtenir pour des enfants nés d’un adultère, c'est-à-dire des enfants nés au mépris du mariage, mais, finalement, après la loi de 71 sur la filiation, la loi de 2001 sur les successions, ont égalisé le droit des enfants adultérins. Cette partie là est à peu près consolidée et la réforme récente ne modifie pas beaucoup les choses. On peut signaler qu’on avait diminué la quotité disponible du conjoint survivant lorsque c’était un conjoint de deuxième ou de troisième noce, pour protéger d’avantage les enfants nés d’une union antérieure, et puis cette idée a été abandonnée finalement à l’Assemblée Nationale et la quotité disponible du conjoint survivant est restée ce qu’elle était auparavant, c’est-à-dire assez large.

On peut dire aussi que la ligne directe ascendante n’a pas été épargnée. En 2001, le droit des grands-parents a été écarté au profit du droit du conjoint survivant. Seuls les père et mère partagent avec le conjoint s’il n’y a pas d’enfants et de descendants. Et la loi de 2006 va supprimer à partir du 1er janvier 2007, la part réservataire des père et mère pour remplacer cette part au moyen d’un droit de retour ; le résultat c’est que les parents généreux récupéreraient, si leur enfant meurt sans postérité, tout ou partie de ce qu’ils ont donné. En revanche, les parents non généreux auront pu être déshérités par leur enfant puisqu’ils ne sont plus réservataires.

Il y a eu aussi quelques retouches discrètes dans le fonctionnement de l’indivision et on attend pour le mois de janvier 2007, un décret qui réformera le partage.

Dans le droit des libéralités, les réformes sont évidemment plus importantes puisqu’on les attendait depuis plus longtemps. Ce qui caractérise le mieux l’esprit de la législation nouvelle, c’est la contractualisation de la relation successorale. La notion de pacte de famille qui était préconisée depuis longtemps par le notariat, notamment en 1975 au congrès de Deauville, trouve un épanouissement tout à fait exceptionnel dans la réforme des libéralités partage et dans l’arrivée dans le Code civil, le retour on peut dire des successions permises telles qu’elles étaient sous l’ancien droit.

La réforme des donations partages a un grand avenir pour la simple raison qu’elle permet, au sein de la famille, avec un total consentement des intéressés, de faire sauter une génération au patrimoine. Dans la succession d’une personne, le père de famille peut renoncer à cette succession au bénéfice de ses propres enfants. Ceci doit être corrélé à l’avancement de l’espérance de vie et au fait qu’aujourd’hui, la plupart des gens héritent autour de la cinquantaine avec des enfants qui ont 25 à 30 ans. Donc les deux générations ont besoin de succéder, la première parce qu’elle arrive à la retraite et l’augmentation de ses ressources n’est pas négligeable, la seconde parce qu’elle s’installe dans la vie et qu’elle a besoin d’un coup de pouce au moment justement de son établissement.

L’idée que le patrimoine des grands parents peut se partager soit en propriété soit en usufruit entre ces générations, avec un consensus, évidemment, des deux générations concernées, est je crois, un très grand progrès qui devrait permettre au notaire d’organiser la transmission, non seulement des héritages immobiliers, mais même des exploitations, des entreprises et c’est une réforme de grande portée. Je pense qu’il faudra l’accompagnement fiscal un peu favorable pour qu’elle trouve tout son essor.

Du côté des substitutions, ce qu’on appelle aujourd’hui les libéralités graduelles, il y a également un grand champ qui s’ouvre et qui probablement nous dispensera d’acclimater en droit civil la fiducie, en tout cas dans sa fonction familiale. Le système consistera à avantager un héritier, mais à charge pour lui de transmettre ce qu’il lui advient par donation ou par testament, à une personne qui lui survivra, qui pourra être un enfant, mais qui pourrait être aussi une personne quelconque (par exemple la personne morale qui a gardé après la mort de ses parents, l’enfant handicapé jusqu’à la fin de sa vie) ; ceci pourrait permettre à une personne d’avantager en propriété le conjoint survivant avec une clause de retour vers ses propres enfants s’il ne veut pas que les enfants de l’union de son époux héritent en ses lieu et place. Tout ceci me paraît excellent. Je suis plus réservé, dans cette réforme des successions qui est une œuvre ambitieuse et très complexe, sur ce que j’appellerais l’unilatéralisme par opposition à ces pactes familiaux qui sont des pactes consensuels.

Il y a deux traces d’unilatéralisme qui me paraissent éventuellement dangereuses :

- La première est celle du mandat à effet posthume qui, bien sûr dans un intérêt sérieux et légitime, encore faut-il l’établir, permet à un futur défunt de transmettre la gestion, avec de larges pouvoirs, à une tierce personne si l’intérêt de son héritier ou l’intérêt du patrimoine, donc un intérêt à spectre très large, le légitime. Je pense que c’est une solution qui risque d’aboutir à des abus et qu’il faudra que le juge se montre extrêmement vigilant dans l’appréciation de cet intérêt qui n’est pas autre chose qu’un dessaisissement de la famille au profit d’un tiers, d’un intrus qui va s’infiltrer dans le monde patrimonial. La succession, c’est une affaire de famille. Je suis tout à fait hostile aux solutions de droit anglais qui obligent les héritiers à s’accommoder d’un tiers qui liquidera l’héritage et qui leur remettra le reliquat. Donc, il ne faudrait pas que le droit français soit sur cette pente, mais il dépend de la sagesse des notaires et de la vigilance des juges qu’il soit fait un bon usage de ce mandat posthume dans un minimum de cas.

- Le deuxième danger de l’unilatéralisme réside dans la renonciation unilatérale à la succession future de l’héritier présomptif dans la mesure où il peut abdiquer l’action qu’il possède aujourd’hui d’agir en réduction des libéralités qui portent atteinte à sa réserve. Autrement dit, il peut renoncer à sa réserve. Il devient, en renonçant à sa réserve, exhérédable, et ceci par une volonté unilatérale qui est entérinée par celle de celui dont il doit hériter. Alors autant je trouve souhaitable que l’on puisse renoncer à tout ou partie de sa réserve dans le cénacle familial à la faveur d’un pacte général, autant je trouve gravissime que l’on puisse renoncer à la succession. Ca a été une des plaies de l’Ancien régime avant la révolution de 1789, même avec le secours de deux notaires, garantie un petit peu amusante, qui a été inventée par le Sénat, je crois bien ou par l’Assemblée nationale en deuxième lecture et qui va mettre le second notaire en position très difficile s’il est hostile à l’idée que lui suggère son confrère.

A part ces quelques réserves, je crois qu’on a effectivement rajeuni le droit des successions. Je crois que le délai, prévu par le rapporteur Sébastien HUET à l’Assemblée Nationale, d’application au bout de 6 mois, c’est-à-dire au 1er janvier 2007, va mettre le notariat dans un extrême embarras, on a été certainement trop pressés. Mais les choses sont ce qu’elles sont, et je souhaite que cette réforme remplisse les fonctions qu’on attend d’elle et qu’elle contribue au rajeunissement de notre Code civil.

Encore merci pour votre audience et bien sûr s’il y a des notaires dans la salle, je les salue amicalement puisque c’est une profession, ils le savent, que j’aime beaucoup.

(Applaudissements de la salle)

Mme Béatrice VERNAUDON, députée, remercie Monsieur CATALA et confirme que la majorité des notaires sont ici aujourd’hui parce que la réforme des successions occupe une place centrale dans ce colloque de trois jours et ils ont été particulièrement attentifs à son intervention.